• Jour 5 - 23 octobre 2014

    Depuis combien de temps était-elle installée, posée sur sa hauteur? Son regard volontaire, son sourire esquissé. Résolue à convaincre, elle s'adressait aux gens, solide dans son armure, pour les prendre avec elle. Sous les voutes en ogive un oiseau cherchait mais sans issue à fuir la foule sombre. Virevoltant pareil à une roussette sans radar, il venait se poser dans son nid sur la chaire avant de repartir. Jeanne demeurait sereine sous l'étendard flétri. Elle la guerrière faisait face à Marie dont la tête inclinée, le sourire de Joconde marquaient le dolorisme dans son drapé bleuté. Sous les vitraux de Cubzac les deux femmes encadraient l'assistance sidérée de se retrouver là.

    J'étais parti trop tard arrivant juste à l'heure je m'étais faufilé sans regarder personne. Il m'avait fallu traverser le pont sur la Dordogne qui s'était retrouvé aveuglé de brouillard. J'avais foncé tout droit aperçu le panneau qui indiquait l'église, déposé ma voiture en travers d'un trottoir, comptant sur la bonté des voisins du village qui comprendraient sûrement. J'étais debout au fond car la nef était pleine, à distance idéale de ces moments pénibles. Le curé officiait en appelait au mystère, à l'accueil du défunt, il remerciait les gens d'être venus nombreux. Je voyais dans l'église rassemblés des visages connus depuis toujours. Le personnel municipal était là au complet venu saluer l'une des leurs. A droite mes anciens collègues, je les verrais plus tard. J'écoutais les mots du prêtre, les mots de son magistère. Je me forçais à l'imaginer en garçon d'ascenseur répétant inlassablement l'ordre des étages. Trouver la dérision, respectueusement, mais surtout ne pas voir, ne pas chercher, le premier rang, celui du mari, des parents, des enfants, vivant l'insupportable. Mes paupières ondulaient submergées en vagues, contenaient l'émotion que je mastiquerais encore deux ou trois jours avant de m'apaiser, gardant le souvenir.

    J'évacuais mes enfants pour ne pas y penser, cette douleur palpable, l'histoire fatalement désastreuse de l'Homme. Je regardais passer le cortège funèbre et griffonnait malhabile sur le registre. De tout coeur avec vous. Je partais conforté, la brume s'était levée. Il faut nourrir sa vie car on sait jamais.