• Jour 1 - Le hérisson

    C'était un hérisson ce frôlement dans la haie mêlé au noir de l'herbe. Sa masse hérissée reflétait le halo du lampadaire. Assis dans la pénombre, sur la balancelle, je voyais la maison. L'écran allumé derrière les rideaux blancs, Carole qui se déplace, le jaune de la cuisine. La cime des grands chênes, les étoiles et le ciel, un avion clignotant dans son déplacement. C'était une nuit soulagée de tout bruit par l'absence de vent. Le piaillement d'un mulot attirait mon regard, puis celui d'un oiseau en retard au nid arrimé à l'érable. L'arbre était gigantesque, hégémonique, il tordait la cabane placée sur son berceau depuis bientôt dix ans, déplaçait la balançoire au fil de sa croissance. Ses racines saillantes soulèveraient la terrasse, la maison, feraient éclater les canalisations. Mais on n'y faisait rien, hypnotisés par son élan vital encadré par la rue, l'impasse qu'ils venaient de percer, la disparition du champs, celle du petit bois, la vente du terrain à la maison voisine. Il restait cet érable dont nous imaginions la ramification souterraine, qu'on disait identique à celle de la surface. Il faudrait se résoudre à prendre une décision, à l'hiver.

    Je fixais le salon à l'abri de la haie anarchique, percevant derrière moi une voix, un moteur qui s'annonce, espérant qu'ils s'en aillent, me rendent mon silence. J'imaginais les mots, ce que je devrais dire des entrechoquements des aventures passées, des fulgurances intimes et du bouillonnement immobile d'une vision du monde. Les jours s'effilaient dans la vaine promesse de se mettre à écrire. Il n'y avait pas de moment propice, juste des lignes de fuite pour remettre à plus tard.

    Au hasard d'une aube porteuse, je m'autorisai, faisant l'économie de toute prétention ... pour ne rien oublier et voir peut-être un jour quelques lignes faire sens.

     

    Journal du temps qui passe, de l'aube à nos heures sombres.