• Jour 2 - 19 octobre 2014

     

    A quelques jours de la fête des morts, l'érable du jardin referait-il des fleurs ?

    Octobre peinait à rougir. Des morses sans banquise s'amassaient sur les plages d'Alaska. Un peu plus loin, le marathon de Pékin se courait sous des masques de protection contre les particules fines en plein pic. Des départements entiers de palmiers à huile se déroulaient sur l'Amazonie, le désert avançait, le thermomètre montait, imperceptiblement, annonçant les tempêtes. Le gouvernement français, 0,8% de la population mondiale, annonçait l'interdiction de la vaisselle en plastique sous cinq ans. Les bateaux usines raclaient le fond des océans. Les murs de la forteresse s'élevaient protégeant de l'assaut. J'étais à l'intérieur.

    Nous étions partis à la plage sous le soleil d'automne. Les fouta de La Marsa feraient office de plaids. La glacière à la main, nous gravissions la dune, dans le doux grondement d'une mer déchaînée. La rumeur augmentait à mesure qu'on montait. La plage était couverte des corps espérant l'ambre d'un raccord de bronzage, d'une blondeur tardive. L'accumulation des êtres sur cette bordure du monde rompait l'isolement en cumulant sa masse. Ca se frôlait, ça s'enjambait, ça entrait dans la bulle de l'autre par le cri des enfants, les projections de sable, l'odeur de la musette. A peine un parasol simulait la cloison de cette promiscuité ailleurs intolérable. Mila était à l'ombre de notre ombrelle cassée par les humeurs du vent. Ma nièce percevait l'entremêlé des trajectoires, de celui qui revient du bain le corps glacé sous les auspices de son clan, le regard fixé vers sa serviette pour ne pas croiser les autres, de celui qui se lève en contrôlant sa mise abdominale, évitant l'embuscade d'un pâté de sable qui lui ferait perdre la face. Entendait-elle la fierté du grand-père fort dans l'âge, racontant comme le petit s'en était bien sorti dans le bouillonnement des vagues atlantiques. Il nageait le petit chien, il était courageux. Le père, la mère, écoutait se déplacer le temps, d'une génération.

    Vingt-sept degrés à l'ombre le dix-neuf d'octobre sur la plage du Porge. La bonne nouvelle était la météo. Indépendamment de tout. Les mômes se régalaient. Arrêtant les conversations, le frelon tissait son filin pour remonter quelque téméraire, parti en slip de bain à l'assaut de la vague de Kanagawa. Plus près de la plage, Enzo flottait comme un bouchon. Emporté par les lames. Le retrait l'aspirait vers le large sur trente mètres. Je le voyais partir en pensant à sa mère. Pas tout à fait certain de pouvoir m'élancer sous les flots, je le voyais revenir propulsé contre des tibias hurlants. Nous riions de la machine à laver dont il était le linge. Emma et Igor s'accrochaient à moi. J'étais le roc insubmersible, le père définitif qui amène à la plage, s'écroule pour faire rire, distribue les sandwichs. Ce même père qui descendait de la dune chaque minute, avec le même parasol, le même sac à dos, un panier de pelles et de seaux, la glacière identique, des enfants identiques, dans une même histoire différant en nuance. Deux, trois générations, se disaient les mêmes choses. Elles se réjouissaient du temps qu'il fait et de ce point du monde.