• 10/01/ 2015 Jour de colère Je suis Charlie

    Terrassé, je regarde les enfants jouer dans la cour.

    Comment fait-on pour immuniser définitivement des adultes en devenir contre le passage à l'acte meurtrier ?

    Comment explique-t-on à des enfants que la religion est un fait privé au nom duquel l'Humanité a souffert et a fait souffrir, que le pape Urbain 2 était un con insensible à la souffrance des autres ... comme tant d'autres et que rien ne justifie l'obscurantisme, la quête de puissance, la démonstration de l'emprise sur l'autre.

    Comment leur donner assez de billes et faire émerger assez de bourgeons réflexifs pour qu'ils construisent comme je l'ai construite la certitude du respect de la vie humaine, l'interdit de l'intolérance, la puissance du débat, du conflit normé et de la règle commune garants de la survie de chacun quelques soient ses certitudes ?

    Des dizaines de milliers d'anonymes sur les chaînes d'information en continue. Le pays, le continent, le monde d'une seule voix dénoncent l'horreur. Trois fanatiques ont décimé l'équipe de Charlie Hebdo, symbole français de la liberté d'expression. L'écho est immense et unanime: minutes de silence dans les institutions, les entreprises, deuil national pour honorer la Liberté républicaine. L'émotion est palpable, l'incompréhension aussi tenace que les appels sont évidents au vivre ensemble et au rassemblement. Seul Daniel Pennac se fait entendre pour dénoncer ce "Vivre ensemble" revendiqué par ceux-là mêmes qui justement s'en passent au quotidien pour mieux vivre entre eux. Derrière les banderoles, les pancartes et le deuil, je connais ces visages, ce sont ceux de ma mère, de mon frère, de mes cercles. Ils sont moi et je suis eux, nous nous connaissons, nous nous reconnaissons, nous pouvons ne faire qu'un sous les coups portés à nos valeurs. 66 millions de blessés ? Font-ils semblant d'y croire ?

    En cherchant bien pourtant, il manque du monde sur la photo de famille. "Tout le peuple français", "tout le monde", "les Français", ... pas si sûr. De-ci de-là on entend murmurer que dans tel collège, des élèves se refusent à s'indigner de l'acte terroriste, que dans tel lycée une classe entière, que dans tel quartier, un feu d'artifice a salué la tuerie. Derrière une journaliste en plein direct, des "quenelles" provoquent l'interruption du reportage. De ces manifestations de joie, pas un mot. Le discours évacue l'anomalie honteuse, la tare familiale et contient l'identité des terroristes sous le terme de "barbares". Ils sont pourtant d'ici, n'ont rien de l'étranger, par naissance, éducation, influences culturelles, ils ont grandi en France et parlent la même langue.

    Alors quoi ? Quelles suites donne-t-on au constat désastreux que nous sommes capables d'effondrer les digues de nos règles communes, qu'il est possible de grandir en France, d'y aller à l'école, de bénéficier de programmes d'insertion et de devenir Moudjahidin ? Pourrons-nous reconnaître que l'image du martyr tombé au champ d'honneur séduit nombre de jeunes dans une mythologie hallucinante ?

    Parlant de barbarie, on en oublierait presque de regarder en face le terreau où se cueillent les faibles qui vidés de tout instinct de vie, embrigadés en sectes vers des actes insensés, s'inventent combattants aux promesses d'une vie enfin meilleure dans l'au-delà. Pour s'inventer un instant, fuir le vide. C'est ce vide qu'on ignore, celui qu'on sous-estime malgré les phrases si courtes, si faibles, si simplistes d'une génération dont la "quenelle" et la Palestine sont les attributs, en marge de là où ils sont, de la communauté qui les façonne malgré elle, malgré eux. L'ignorance est le terreau, l'échec scolaire et humain le carburant. La violence le fondement.

    Quelle analyse faire d'images de la tuerie diffusées trop nombreuses renvoyant à ces jeux vidéos meurtriers et aux films "d'action" dont seul un surmoi structuré gère le second degré. La violence, partout, normée, codifiée, consensualisée à quelques indignations près. La violence si humaine, contenue, pour faire communauté. L'ultralibéralisme est violence individuelle, qu'on assène et qu'on reçoit, sans autre perspective que de dominer l'autre pour ne pas le subir. Au premier jour des soldes, c'est chacun pour soi. Mais la règle est admise, du moins en apparence. L'époque est cruelle mais il y a des gagnants. L'égalité de chances est un poème dicté par ceux qui n'ont pas besoin d'y croire. Elle tue de l'intérieur et demande à sourire, alimentant la masse de rêves consuméristes et d'un inaccessible présenté comme normal.

    A chaque attaque terroriste, on annonce le renforcement des mesures de sécurité, peut-être même la réduction des libertés individuelles mais jamais le déploiement de moyens pour occuper le terrain de la structuration des consciences.

    Nous avons abandonné toute ambition de parfaire le creuset républicain en tout point du territoire. Nos politiques de dispersion territoriale ont remplacé le projet trop coûteux de forger une identité inattaquable. On préfère se rassurer entre héritiers de ceux qui, Athées, Chrétiens, Musulmans, Juifs, n'ont plus besoin de se le dire pour être convaincus de leur accord. La culture, l'éducation, la réussite, la confiance en soi sont autant de remparts contre les dogmatismes mais il y a bien longtemps que ces idéaux sont tombés. Trop couteux, inutile, angélique, inéquitable, le dispositif est passé de mode. L'éducation populaire s'éteint avec la génération qui l'a inventée, entre un yoga pour tous et une leçon d'anglais pour les retraités.  

    On a laissé la place. Il y a bien longtemps qu'on ne s'est plus donné la peine d'aller vérifier aux lisières de l'entre-soi quel est l'état d'esprit des jeunes. Le recours au religieux fantasmé est une facilité pour celui qui y voit un semblant de reconnaissance, un espace de prestige Depuis quand la laïcité n'a-t-elle plus été concurrentielle ? L'a-t-elle jamais été ? On pourra toujours décrire la folie des individus mais comment ne pas envisager une responsabilité collective d'avoir laissé la place libre dans la formation de nos jeunes à tel point d'en voir justifier à 14 comme à 18 ans un acte immonde, injustifiable, horrible, un acte insupportable d'une guerre autoproclamée perpétré par des pieds nickelés se voulant martyrs morts plutôt qu'êtres vivants. Cet élan morbide, désespérant.

    Se contentera-ton de s'auto-rassurer entre démocrates républicains droidel'hommistes pour reprendre la marche en avant grillageant les lisières ? Charlie mérite mieux, tant ils étaient conscients.

     

     


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